Lettre à ONU Femmes

Consultation d’opinion sur l’approche d’ONU Femmes concernant le travail sexuel, le commerce sexuel et la prostitution. 

Dr. Ingeborg Kraus, le 15.10.2016.

„Scientists for a World Without Prostitution“[1], avec son siège à Karlsruhe en Allemagne, est un regroupement d´experts de la santé (médecine, psychologie et psychotraumatologie), qui offrent des soins thérapeutiques et médicaux aux femmes en situation prostitutionnelle. Ce groupe est issue d´un manifeste[2] déclarant que la prostitution est humiliante, dégradante et à l´encontre des doits humains universels, que c’est un acte de violence et qu’elle perpétue cette violence dans la vie des femmes. En d´autre terme, il n’y a pas de « bonne prostitution ». Il réclame aussi une loi qui responsabiliserait les hommes, en exigeant une législation pénalisant les acheteurs de sexe, car nous sommes las d´être utilisé pour « réparer  les femmes » alors qu´une politique est menée qui incite les hommes à « casser les femmes ». Ce manifeste a été signé par les spécialistes en traumatismes psychiques les plus reconnus et les plus influents d’Allemagne. Nous voulons informer sur la réalité de la prostitution et ses effets nocifs sur la santé, informer des effets désastreuses d´une loi légalisant la prostitution, mettre en lumière la présence et la voix des experts de la santé qui sont en contact imminent avec les victimes de la prostitution: promouvoir nos expériences cliniques ainsi que les textes et études scientifiques sur la prostitution.

1) Le programme Horizon 2030 s’attache à l’universalité, aux droits humains et à la prise en compte de tous. Comment interprétez-vous ces principes dans le cadre du travail/commerce sexuel ou de la prostitution ?

 Du point de vue de la psychotraumatologie, la prostitution n´est pas percue comme un travail comme un autre. Michaela Huber, directrice de la société allemande « Traumatisme et Dissociation »[3], dit que « pour permettre à des personnes étrangères de laisser pénétrer son corps, il est nécessaire de supprimer des phénomènes naturels : la peur, la honte, le dégoût, le sentiment d’étrangeté, le mépris, l’auto-condamnation. À la place, ces femmes mettent en place : l’indifférence, une neutralité, une conception fonctionnelle de la pénétration, une réinterprétation de cet acte pour en faire un « travail » ou un « service »[4]. Ces femmes ont appris très tôt à se dissocier. En effet, de multiples études faites sur ce sujet démontrent une corrélation étroite entre le passage à la prostitution et la violence subie durant l’enfance.[5]

Le système prostitutionnel utilise ces traumatismes d’enfance dans son propre intérêt et pour son profit. La prostitution ne peut en aucun cas être défini comme un « travail » ou un « service ». Les zones érogènes et reproductives d´une femme sont d´une telle sensibilité, qu´elles ne peuvent pas être chosifié pour être utilisé comme instrument de travail. La prostitution n´est praticable qu´en situation de dissociation pathologique.[6]

La prostitution ne peut pas non-plus être percue comme un métier, car elle est traumatisante. De nombreuses études ont montré que le risque de développer un trouble de stress post-traumatique est beaucoup plus élevé en situation prostitutionnelle qu´en situation de guerre.[7]

De la même facon qu´il existe un droit humain de vivre en paix, il devrait exister un droit humain universel de ne pas être prostituée.

 2) Les Objectifs de développement durable (ODD) ont pour ambition de parvenir à l’égalité des sexes et d’autonomiser les femmes et les filles. Les ODD comprennent également plusieurs cibles relatives à l’autonomisation des femmes, telles que:

a) les droits reproductifs b) l’accès des femmes aux terres et aux biens c) le développement de sociétés paisibles et inclusives d) l’élimination du trafic des femmes e) l’élimination de la violence à l’égard des femmes.

Les discussions sur la prostitution qui se tiennent à l´heure actuelle au sein de l´ONU Femmes, ont été menées d´une facon similaire en Allemagne, il y a environs 15 ans. C´est un honneur pour moi, d´avoir l´occasion aujourd´hui, de partager avec vous les expériences que nous avons fait avec une loi légalisant et normalisant la prostitution. Car « le modèle Allemand », loin de protéger les femmes, s´est avéré comme « l´enfer sur terre » pour les femmes en prostitution. J´utilise avec intension cette comparaison lourde, parce que la situation en Allemagne est devenue extrêmement grave. J´aimerais répondre à vos questions en vous donnant un compte-rendu des effets du « modèle Allemand ».

Cette loi, introduite en 2002, voulant effectivement protéger et fortifier les femmes en situation prostitutionnelle en leur donnant un statut de « travailleuse de sexe », jouissant de droits de travail comme toute autre salariée ou travailleuse indépendante, a donné les résultats suivants :

Nous observons une industrialisation de la prostitution avec un revenu total estimé à 14,6 milliards d´euros avec 3500 bordels déclaré officiellement.[8] La création de méga-bordelle avec une capacité d´accommodation pour plus de 1000 acheteurs de sexe.[9] Une croissance de la demande qui est estimée à environ 30%. La création de bordelle « flat-rate » : Pour 70,–€ on obtient une bière, un saucisson et l´accès sans limites aux femmes.[10] On constate une baisse des revenus des femmes (30€ pour un rapport sexuel, et elles doivent payer environ 160€ pour une chambre et 25,–€ d´impots quotidiennement). Ces femmes sont soumises aux lois du marché libre d´un capitalisme le plus froid: leurs corps est exploités au maximum. Nous observons des conditions de travail inhumaines que nous pensions avoir dépassé depuis le début du XXème siècle : ces femmes vivent, mangent, dorment dans la même chambre dans laquelle elles recoivent leur « clients ». Beaucoup d´entres elles vivent comme des nomades, allant d´une ville à l´autre, d´un bordelle à l´autre pour offrir de la variation aux acheteurs de sexe.

Le comportement des acheteurs de sexes s´est pervertis d´un jour à l´autre[11] avec une loi qui normalise la prostitution, dont le message aux hommes est en contrepartie: qu´il existe « un droit » à l´achat d´acte sexuelle et qu´il ne faut plus se sentir coupable pour cela. Les clients se voient dorénavant en droit de demander de plus en plus de « services » pour les moindres coûts. C´est ainsi aussi que les pratiques sexuelles sans protection sont devenues chose courante, les grossesses et avortements tardives malheureusement aussi !

La composition des femmes prostituées a changé depuis 2002. Avec l’ouverture de l’Europe vers l’Ouest, les femmes viennent des régions les plus pauvres d’Europe. Et elles appartiennent souvent aux minorités qui vivent dans une extrême pauvreté. Aujourd’hui, environ 95% d’entre elles viennent de l’étranger. C’est devenu une prostitution de survie. Ces femmes sont souvent sacrifiées par leurs propres familles pour les soutenir financièrement. La majorité ne parle pas l’allemand. Ces jeunes femmes viennent en Allemagne et sont soumises aux désirs pervers des acheteurs. Elles ne sont pas capables de dire non, de se défendre. Elles sont complètement débordées par la situation et complètement traumatisées par elle.[12]

Les conditions de travails et d´hygiène sont devenues désastreuses. Des 400.000 femmes prostituées (une estimation qui date de plus de 15 ans), seulement 44 se sont enregistré comme entreprise indépendante.[13] La plus grande majorité reste dans l´inégalité, ce qui veut dire qu´elles ne profitent pas d´un système sociale leur permettant de consulter un médecin.

Un rapport récent d´un gynécologue Allemand[14] constate que la santé des femmes en situation prostitutionnelle est catastrophique: Avec 30 ans, elles ont vieilli avant l´âge, ce qui est un symptôme de stress extrême et permanent. Toutes les femmes ont des douleurs abdominales constante, la gastrite et des infections fréquente, dû à une condition de vie malsaine. Les traumatismes psychiques peuvent être seulement supporté avec la consommation d´alcool et/ou de psychotropes. Il rapporte qu´il existe une demande croissante de femmes enceinte en prostitution. Ces femmes doivent « servir » 15 à 40 hommes quotidiennement jusqu`à la naissance de leur enfant. Très souvent, elles abandonnent le nouveau né pour continuer de travailler le plus vite possible, quelques fois 3 jours après l´accouchement. Ces pratiques sont totalement irresponsables pour la santé de la mère et de l´enfant à naître et peuvent laisser des dommages irréversibles. Le médecin et psychotraumatologue Lutz Besser[15] informe d´une pratique consistant à engrosser les femmes et de les livrer ainsi aux acheteurs de sexes, de leurs faire subir ensuite des avortements tardifs à l´étranger. Lorsqu´elle donnent naissance à leur enfant, souvent elles l´abandonnent à l´hôpital pour redevenir enceinte le plus vite possible.

Il est absurde de parler de « droits reproductifs » de la femme, il s´agit ici des droits de l´acheteur de sexes et de garantir son droit à s´épanouir sans contraintes ni limites.

Une étude du ministère allemand de la famille de 2004[16] a révélé que 87% des femmes en situation prostitutionnelle ont cité avoir subi des violences physiques, 82% des violences psychiques, 92% du harcèlement sexuel, 59% des violences sexuelles. Rien qu’en prenant en compte ces chiffres-là, il est difficile de parler d’un métier comme un autre. Et ces recherches datent d’il y a plus de 10 ans ; les choses sont devenues bien pire. La violence est indissociable de la prostitution.

Le « modèle Allemand » légalisant la prostitution s´est avéré comme une loi complaisante au milieu criminel et a transformé l´Allemagne en un eldorado pour les trafiqueurs, les proxénètes et teneurs de bordelles, comme le prononce Manfred Paulus[17], premier inspecteur en chef. La police ce voie impuissante avec une loi qui a fortifié le système prostitutionnelle. Les chiffres le démontre[18] : en 2000, il y a eu 151 personnes condamné à la traite d´êtres humains, en 2011 seulement 32. En 2011, il y a eut 636 cas de femmes victimes de la traite, 3 fois moins que 10 ans auparavant, alors que le nombre total de femmes en prostitution a augmenté !

3) Le commerce sexuel est sexo-spécifique. Quelle est la meilleure manière de protéger de la violence, de la stigmatisation et de la discrimination les femmes qui sont impliquées dans ce commerce ?

De tout temps, la sexualité de la femme a voulue être domestiqué, contrôlé et dicté. La prostitution est un de ces diktats ! Il est faux de penser la prostitution en terme de liberté sexuelle de la femme. En fait, il ne s´agit que de la liberté sexuelle de l´homme. Et c´est ca le problème ! Nous devons diriger notre attention sur l´acheteur de sexe, qui est nullement mis en question. L´acheteur de sexe est une construction sociale[19] issue d´une éducation sexué inégale. Lorsque nous discutons la prostitution, il est important de penser aussi quelle forme de société nous voulons. Nous avons besoin d´une nouvelle génération d´hommes qui ne prend pas recours à la prostitution et la domination sur la femme pour se définir. Il est également faux de penser que la sexualité masculine n´est pas maitrisable. Légaliser et normaliser la prostitution revient à cimenter l´inégalité entre femmes et hommes et à capituler devant les violences faite aux femmes.

C´est pour cela que nous avons besoins l´instauration du modèle Suédois sur un plan mondiale. Un modèle qui pénalise l´acheteur de sexe, décriminalise les femmes en prostitution, leurs offre des alternatifs pour quitter la prostitution ainsi qu´un accès au système de santé publique et met en place des mesures de prévention.

Dr. Ingeborg Kraus
Psychologue et experte en psychotraumatologie
Initiatrice du manifeste des psychotraumatologues Allemands contre la prostitution

 

Notes:

[1] https://www.trauma-and-prostitution.eu/

[2] https://www.trauma-and-prostitution.eu/fr/le-manifeste/

[3] http://www.dgtd.de/

[4] http://www.michaela-huber.com/files/vortraege2014/trauma-und-prostitution-aus-traumatherapeutischer-sicht.pdf

[5] Dre Muriel Salmona, Pour mieux penser la prostitution: quelques outils et quelques chiffres qui peuvent être utiles. Chapitre 3: Violences avant l´entrée en situation prostitutionnelle. https://www.trauma-and-prostitution.eu/fr/2015/01/21/pour-mieux-penser-la-prostitution-quelques-outils-et-quelques-chiffres-qui-peuvent-etre-utiles/

[6] Michaela Huber, Trauma und Prostitution aus traumatherapeutischer Sicht, 2014:http://www.michaela-huber.com/files/vortraege2014/trauma-und-prostitution-aus-traumatherapeutischer-sicht.pdf

[7] – L’étude de Melissa Farley de 2008 a trouvé que 68% des femmes en situation prostitutionnelle vivaient des TSPT d’une intensité similaire à ceux des anciens combattants ou des personnes ayant vécu de la torture. https://www.trauma-and-prostitution.eu/en/2015/01/26/prostitution-and-trafficking-in-nine-countries-an-update-on-violence-and-posttraumatic-stress-disorder/

– L’étude de Zumbeck de 2001 en Allemagne a trouvé que 60% souffraient de TSPT très intenses. Zumbeck, Sibylle: «Die Prävalenz traumatischer Erfahrungen, Posttraumatische Belastungsstörungen und Dissoziation bei Prostituierten », Hambourg, 2001.

[8] Michael Jürgs, Sklavenmarkt Europa, 2014, S. 327.

[9] Chantal Louis : « Die Folgen der Prostitution », dans Alice Schwarzer HG, Prostitution, ein Deutscher Skandal, p. 70-87.

[10] Der Spiegel, Bordell Deutschland. 27.05.2013http://www.spiegel.de/international/germany/human-trafficking-persists-despite-legality-of-prostitution-in-germany-a-902533-2.html

[11] Interview Radio avec la Dominatrix Ellen Templin, le 08.03.2010.http://abolition2014.blogspot.de/2014/05/interview-mit-einer-domina.html

[12] Sabine Constabel, une assistante sociale qui travaille à Stuttgart depuis plus de 20 ans avec les femmes prostituées, a dit ce qui suit au cours d’un interview télévisé, le 17.10.2013.https://www.youtube.com/watch?v=BpCPKDRcFg0

[13] Michael Jürgs, Sklavenmarkt Europa, 2014, P. 327.

[14] Dr. Wolfgang Heide: Stellungnahme zur öffentlichen Anhörung zur 
„Regulierung des Prostitutionsgewerbes“ im Ausschuss für Familie, Senioren, Frauen und Gesundheit im Deutschen Bundestag am 06. Juni 2016. https://www.trauma-and-prostitution.eu/2016/06/05/stellungnahme-von-wolfgang-heide-facharzt-fuer-gynaekologie-und-geburtshilfe/

[15] Dr. Lutz Besser: Stellungnahme zur Anhörung zum Entwurf eines Gesetzes zur Regelung des Prostitutionsgewerbes sowie zu Schutz von in der Prostitution tätigen Personen. 04.06.2016. https://www.trauma-and-prostitution.eu/2016/06/04/lutz-besser-stellungnahme-zum-prostituiertenschutzg/

[16] Bundesministerium für Familie, Senioren, Frauen und Jugend : Gender Datenreport », Kapitel 10: Gewalthandlungen und Gewaltbetroffenheit von Frauen und Männern, P. 651-652, 2004.

[17] Manfred Paulus, Menschenhandel, 2014, P. 107.

[18] Der Spiegel, Bordell Deutschland. 27.05.2013.

[19] Udo Gerheim, die Produktion des Freiers, 2012, P. 7.